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« ivre de la vie ». Il ne peut vivre sans cette ivresse[1]. Ivre de bonheur et de malheur, à la fois. Ivre de mort et d’immortalité[2]. Son renoncement à la vie individuelle n’est qu’un cri de passion exaltée vers la vie éternelle. Non, la paix qu’il atteint, la paix de l’âme qu’il invoque, n’est pas celle de la mort. C’est celle de ces mondes enflammés qui gravitent dans les espaces infinis. Chez lui, la colère est calme[3], et le calme est brûlant. La foi lui a donné des armes nouvelles pour reprendre, plus implacable, le combat que, dès ses premières œuvres, il ne cessait de livrer aux mensonges de la société moderne. Il ne s’en tient plus à quelques types de romans, il s’attaque à toutes les grandes idoles : hypocrisies de la religion, de l’État, de la science, de l’art, du libéralisme, du socialisme, de l’instruction populaire, de la bienfaisance, du pacifisme[4]. Il les soufflette, il s’acharne contre elles.

  1. « On peut vivre seulement pendant qu’on est ivre de la vie. » (Confessions, 1879.)

    « Je suis fou de la vie… C’est l’été, l’été délicieux. Cette année, j’ai lutté longtemps ; mais la beauté de la nature m’a vaincu. Je me réjouis de la vie ». (Lettre à Fet, juillet 1880.) — Ces lignes sont écrites en pleine crise religieuse.

  2. Dans son Journal, à la date d’octobre 1865 :

    « La pensée de la mort… » « Je veux et j’aime l’immortalité. »

  3. « Je me grisai de cette colère bouillonnante d’indignation que j’aime en moi, que j’excite même quand je la sens, parce qu’elle agit sur moi, d’une façon calmante, et me donne, pour quelques instants au moins, une élasticité extraordinaire, l’énergie et le feu de toutes les capacités physiques et morales. » (Journal du prince D. Nekhludov, Lucerne, 1857).
  4. Son article sur la Guerre, à propos du Congrès universel de la paix, à Londres, en 1891, est une rude satire des pacifistes, qui croient à l’arbitrage entre nations :

    « C’est l’histoire de l’oiseau qu’on prend, après lui avoir mis