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meilleur placement dans la distillation de l’eau-de-vie qui empoisonne le peuple, dans la fabrication des armes meurtrières, dans la construction des prisons, des bagnes, et surtout dans la distribution des appointements à leurs aides et à eux. »

Il est triste, quand on a vécu, toute sa vie, dans l’attente et l’annonce du règne de l’amour, de devoir fermer les yeux, parmi ces visions menaçantes, et de s’en sentir troublé. — Il l’est encore davantage, quand on a la conscience véridique d’un Tolstoï, de se dire qu’on n’a pas mis d’accord tout à fait sa vie avec ses principes.

Ici, nous touchons au point le plus douloureux de ses dernières années, — faut-il dire, de ses trente dernières années ? — et il ne nous est permis que de l’effleurer d’une main pieuse et craintive : car cette douleur, dont Tolstoï s’efforça de garder le secret, n’appartient pas seulement à celui qui est mort, mais à d’autres qui vivent, qu’il aima, et qui l’aiment.

Il n’était pas arrivé à communiquer sa foi à ceux qui lui étaient le plus chers, à sa femme, à ses enfants. On a vu que la fidèle compagne, qui partageait vaillamment sa vie et ses travaux artistiques, souffrait de ce qu’il avait renié sa foi dans l’art pour une autre foi morale, qu’elle ne comprenait pas. Tolstoï ne souffrait pas moins de se voir incompris de sa meilleure amie.

Je sens par tout mon être, écrivait-il à Ténéromo,