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table vanité. Mais quand il les voit de plus près, quand il voit comme ils étaient traités par l’autorité, il comprend qu’ils ne pouvaient être autres.

Et il admire leur haute idée du devoir, qui implique le sacrifice total.

Mais depuis 1900, la vague révolutionnaire s’était étendue ; partie des intellectuels, elle avait gagné le peuple, elle remuait obscurément des milliers de misérables. L’avant-garde de leur armée menaçante défilait sous la fenêtre de Tolstoï, à Iasnaïa-Poliana. Trois récits, publiés par le Mercure de France[1], et qui comptent parmi les dernières pages écrites par Tolstoï, font entrevoir la douleur et le trouble que ce spectacle jetait dans son esprit. Où était-il le temps où, dans la campagne de Toula, passaient les pèlerins, simples d’esprit et pieux ? Maintenant, c’est une invasion d’affamés errants. Il en vient, chaque jour. Tolstoï, qui cause avec eux, est frappé de la haine qui les anime ; ils ne voient plus, comme autrefois, dans les riches, « des gens qui font le salut de leur âme en distribuant l’aumône, mais des bandits, des brigands, qui boivent le sang du peuple travailleur ». Beaucoup sont des gens instruits, ruinés, à deux doigts du désespoir qui rend l’homme capable de tout.

Ce n’est pas dans les déserts et dans les forêts, mais dans les bouges des villes et sur les grandes routes

  1. 1er  décembre 1910.