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forêt ; et Tolstoï est seul. Glorieux, mais seul. On lui écrit, du monde entier : des pays mahométans, de la Chine, du Japon, où l’on traduit Résurrection, et où se répandent ses idées sur « la restitution de la terre au peuple[1] ». Les journaux américains l’interviewent ; des Français le consultent sur l’art, ou sur la séparation des Églises et de l’État[2]. Mais il n’a pas trois cents disciples, et il en convient. D’ailleurs, il ne s’est pas soucié d’en faire. Il repousse les tentatives de ses amis pour former des groupes de Tolstoïens :

Il ne faut pas aller à la rencontre l’un de l’autre, mais aller tous à Dieu… Vous dites : « Ensemble, c’est plus facile… » — Quoi ? — Labourer, faucher, oui. Mais s’approcher de Dieu, on ne le peut qu’isolément…Je me représente le monde comme un énorme temple dans lequel la lumière tombe d’en haut et juste au milieu. Pour se réunir, tous doivent aller à la lumière. Là, nous tous, venus de divers côtés, nous nous trouverons ensemble avec des hommes que nous n’attendions pas : en cela est la joie[3].

Combien se sont-ils trouvés ensemble sous le rayon qui tombe de la coupole ? — Qu’importe ! Il suffit d’un seul, avec Dieu.

  1. On trouvera, en appendice au Grand Crime et dans la trad. franç. des Conseils aux Dirigés (titre russe : Au peuple travailleur), un Appel d’une société japonaise pour le Rétablissement de la Liberté de la Terre.
  2. Lettre à Paul Sabatier, 7 novembre 1906. (Corr. inéd., p. 375.)
  3. Lettres à un ami, juin 1892 et novembre 1901.