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VIE DE TOLSTOÏ

raux font du mot : « Peuple, Volonté du peuple… » Eh ! que savent-ils du peuple ? Qu’est-ce que le peuple ?

C’est surtout à l’époque où le mouvement libéral semble sur le point de réussir et fait convoquer la première Douma, que Tolstoï exprime violemment sa désapprobation des idées constitutionnelles.

En ces derniers temps, la déformation du christianisme a donné lieu à une nouvelle supercherie, qui a mieux enfoncé nos peuples dans leur servilité. À l’aide d’un système complexe d’élections parlementaires, il leur fut suggéré qu’en élisant leurs représentants directement, ils participaient au gouvernement, et qu’en leur obéissant, ils obéissaient à leur propre volonté, ils étaient libres. C’est une fourberie. Le peuple ne peut exprimer sa volonté, même avec le suffrage universel : 1o parce qu’une pareille volonté collective d’une nation de plusieurs millions d’habitants ne peut exister ; 2o parce que, même si elle existait, la majorité des voix ne serait pas son expression. Sans insister sur ce fait que les élus légifèrent et administrent, non pour le bien général, mais pour se maintenir au pouvoir, — sans appuyer sur le fait de la dépravation du peuple due à la pression et à la corruption électorale, — ce mensonge est particulièrement funeste, en raison de l’esclavage présomptueux où tombent ceux qui s’y soumettent… Ces hommes libres rappellent les prisonniers qui s’imaginent jouir de la liberté, lorsqu’ils