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— acte de foi personnel, qui ne sort pas logiquement de la vie observée. Ce n’était pas la première fois que la religion de Tolstoï s’ajoutait à son réalisme ; mais, dans les œuvres passées, les deux éléments sont mieux fondus. Ici, ils coexistent, ils ne se mêlent point ; et le contraste frappe d’autant plus que la foi de Tolstoï se passe davantage de toute preuve, et que son réalisme se fait de jour en jour plus libre et plus aiguisé. Il y a là trace, non de fatigue, mais d’âge, — une certaine raideur dans les articulations. La conclusion religieuse n’est pas le développement organique de l’œuvre. C’est un Deus ex machina… Et je suis convaincu que, tout au fond de Tolstoï, en dépit de ses affirmations, la fusion n’était point parfaite entre ses natures diverses : sa vérité d’artiste et sa vérité de croyant.

Mais si Résurrection n’a pas l’harmonieuse plénitude des œuvres de la jeunesse, si je lui préfère, pour ma part, Guerre et Paix, elle n’en est pas moins un des plus beaux poèmes de compassion humaine, — le plus véridique peut-être. Plus qu’au travers de toute autre, j’aperçois dans cette œuvre les yeux clairs de Tolstoï, les yeux gris-pâle qui pénètrent, « ce regard qui va droit à l’âme[1] », et dans chaque âme voit Dieu.

  1. Lettre de la comtesse Tolstoï, 1884.