lité. L’œuvre a eu, dans le monde entier, un succès qui ne peut cesser : car elle est épurée de tous les éléments périssables de l’art ; il n’y a plus rien là que d’éternel.
La Puissance des Ténèbres ne s’élève pas à cette auguste simplicité de cœur ; elle n’y prétend point : c’est l’autre tranchant du glaive. D’un côté, le rêve de l’amour divin. De l’autre, l’atroce réalité. On peut voir, en lisant ce drame, si la foi de Tolstoï et son amour du peuple étaient jamais capables de lui faire idéaliser le peuple et trahir la vérité !
Tolstoï, si gauche dans la plupart de ses essais dramatiques[1], atteint ici à la maîtrise. Les caractères et l’action sont posés avec aisance : le bellâtre Nikita, la passion emportée et sensuelle d’Anissia, la bonhomie cynique de la vieille Matrena, qui couve maternellement l’adultère de son fils, et la sainteté du vieux Akim à la langue bègue, — Dieu vivant dans un corps ridicule. — Puis, c’est la chute de Nikita, faible et sans méchanceté, mais englué dans
- ↑ Il avait été pris assez tardivement par le goût du théâtre. Ce fut une découverte qu’il fit, pendant l’hiver de 1869-1870 ; et, selon son habitude, il s’enflamma aussitôt pour elle.
« Tout cet hiver, je me suis occupé exclusivement du drame ; et, comme il arrive toujours aux hommes qui, jusqu’à l’âge de quarante ans, n’ont pas réfléchi à un certain sujet, tout à coup ils font attention à ce sujet négligé, et il leur paraît qu’ils y voient beaucoup de choses nouvelles… J’ai lu Shakespeare, Gœthe, Pouchkine, Gogol et Molière… Je voudrais lire Sophocle et Euripide… J’ai longtemps gardé le lit, étant malade ; et quand je suis ainsi, les personnages dramatiques ou comiques commencent à se démener en moi. Et ils le font très bien… »
Lettres à Fet, 17-21 février 1870. (Corresp. inéd., p. 63-65.)