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merveilleux de raconter des histoires qu’elle inventait.

De son père, il put garder du moins quelques souvenirs. C’était un homme aimable et moqueur, aux yeux tristes, qui vivait sur ses terres, d’une existence indépendante et dénuée d’ambition. Tolstoï avait neuf ans lorsqu’il le perdit. Cette mort lui fit « comprendre pour la première fois l’amère vérité et remplit son âme de désespoir[1] ». — Première rencontre de l’enfant avec le spectre d’effroi, qu’une partie de sa vie devait être consacrée à combattre, et l’autre à célébrer, en le transfigurant… La trace de cette angoisse est marquée en quelques traits inoubliables des derniers chapitres d’Enfance, où les souvenirs sont transposés pour le récit de la mort et de l’enterrement de la mère.

Ils restaient cinq enfants, dans la vieille maison de Iasnaïa Poliana[2], où Léon-Nikolaievitch était né, le 28 août 1828, et qu’il ne devait quitter que pour mourir, quatre-vingt-deux ans après. La plus jeune, une fille, Marie, qui plus tard se fit religieuse (ce fut auprès d’elle que Tolstoï se réfugia, mou-

  1. Enfance, chap. xxvii.
  2. Iasnaïa Poliana, dont le nom signifie la Clairière claire, est un petit village au sud de Moscou, à quelques lieues de Toula « dans une des provinces les plus foncièrement russes. Les deux grandes régions de la Russie, dit M. A. Leroy-Beaulieu, la région des forêts et celle des terres de culture s’y touchent et s’y enchevêtrent. Aux environs ne se rencontrent ni Finnois, ni Tatars, ni Polonais, ni Juifs, ni Petits-Russiens. Ce pays de Toula est au cœur même de la Russie. »
    (A. Leroy-Beaulieu : Léon Tolstoï, Revue des Deux Mondes, 15 décembre 1910.