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lisme local, enfin, par la langue imagée, savoureuse, qui sent la terre.

Son amour du peuple lui avait depuis longtemps fait goûter la beauté de la langue populaire. Enfant, il avait été bercé par les récits des conteurs mendiants. Homme fait et écrivain célèbre, il éprouvait une jouissance artistique à causer avec ses paysans.

Ces hommes-là, disait-il plus tard à M. Paul Boyer[1], sont des maîtres. Autrefois, quand je causais avec eux, ou avec ces errants qui vont, le bissac à l’épaule, par nos campagnes, je notais soigneusement telles de leurs expressions que j’entendais pour la première fois, oubliées souvent de notre langue littéraire moderne, mais toujours frappées au bon vieux coin russe… Oui, le génie de la langue vit en ces hommes…

Il devait y être d’autant plus sensible que son esprit n’était pas encombré de littérature[2]. À force de vivre loin des villes, au milieu des paysans, il s’était fait un peu la façon de penser du peuple. Il en avait la dialectique lente, le bon sens raisonneur qui se traîne pas à pas, avec de brusques saccades

  1. Le Temps, 29 août 1901.
  2. « Pour le style, lui disait son ami Droujinine, en 1856, vous êtes fortement illettré, parfois comme un novateur et un grand poète, parfois comme un officier qui écrit à son camarade. Ce que vous écrivez avec amour est admirable. Aussitôt que vous êtes indifférent, votre style s’embrouille et devient épouvantable. » (Trad. Bienstock, Vie et Œuvre.)