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sent, il sera fondé sur d’autres bases. Il ne sera plus la propriété d’une caste. L’art n’est pas un métier, il est l’expression de sentiments vrais. Or, l’artiste ne peut éprouver un sentiment vrai que lorsqu’il ne s’isole pas, lorsqu’il vit de l’existence naturelle à l’homme. C’est pourquoi celui qui se trouve à l’abri de la vie est dans les pires conditions pour créer.

Dans l’avenir, « les artistes seront tous les hommes doués ». L’activité artistique deviendra accessible à tous « par l’introduction dans les écoles élémentaires de l’enseignement de la musique et de la peinture, qui sera donné à l’enfant, en même temps que les premiers éléments de la grammaire ». Au reste, l’art n’aura plus besoin d’une technique compliquée, comme celle d’à présent ; il s’acheminera vers la simplicité, la netteté, la concision, qui sont le propre de l’art classique et sain, de l’art homérique[1]. Comme il sera beau de traduire dans cet art aux lignes pures des sentiments universels ! Composer un conte ou une chanson, dessiner une image pour des millions d’êtres, a bien plus d’importance — et de difficulté — que d’écrire un roman ou une symphonie[2]. C’est un

  1. Dès 1873, Tolstoï écrivait : « Pensez ce que vous voudrez, mais de telle façon que chaque mot puisse être compris du charretier qui transporte les livres de l’imprimerie. On ne peut rien écrire de mauvais dans une langue tout à fait claire et simple. »
  2. Tolstoï a donné l’exemple. Ses quatre Livres de lectures, pour les enfants des campagnes, ont été adoptés dans toutes les écoles de Russie, laïques et ecclésiastiques. Ses Premiers contes populaires sont l’aliment de milliers d’âmes. « Dans le bas