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I
L’ÉVANGILE DE L’ENFANCE[1]

Il était, au Bengale, à Kamarpukur, dans un de ces villages aux constructions coniques, qu’entourent les palmiers, les étangs, les rizières, un vieux couple brahmine orthodoxe, qui se nommait Chattopadhyaya. Il était très pauvre et très pieux, voué

  1. Note. — J’avertis le lecteur d’Europe que j’écarte volontairement du récit de cette enfance ma personnalité critique. (Mais elle veille, au seuil.) Je me fais la voix de la légende, la flûte sous les doigts de Krishna. Ce n’est point la réalité objective des faits qui nous importe en ce moment, c’est la réalité subjective des impressions vécues. Elles sont le vrai tissu de l’histoire. Qui veut défaire la toile de Pénélope, ne trouve plus rien que le métier vide. Je regarde le rêve qui fleurit des doigts de la bonne ouvrière. — Un maître de la science nous en a donné l’exemple. Max Müller, à la fois fidèle aux méthodes critiques d’Occident et respectueux des autres formes de pensée, s’est fait noter par Vivekananda le récit de la vie du Paramahamsa a) et, scrupuleusement, l’a transcrit dans son précieux petit livre b), estimant que ce qu’il nomme le processus dialogique, ou dialectique, appliqué aux événements vus et vécus par les contemporains, cette sorte de transposition de la réalité par les témoins véridiques et vibrants, est un élément indispensable de l’histoire. Toute connaissance de la réalité est une transposition par les sens et l’esprit. Et donc, toute transposition sincère est une réalité. C’est à la raison critique d’en évaluer ensuite le degré et l’angle de vision. Mais elle doit toujours tenir compte de l’image dans le miroir déformant de l’esprit.

    a) Paramahamsa : grand oiseau, qui plane haut (littéralement : l’oie des Indes ; mais son espèce ne correspond pas à celle d’Europe.) Ce nom qui désigne un sage et saint, est habituellement accouplé à celui de Sri Ramakrishna.

    b) Max Müller : Ramakrishna, his Life and Sayings, 1898.