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laquelle ont travaillé les générations. Et de son signe victorieux, c’est elle qui marque l’ère.

L’homme dont j’évoque ici l’image fut le couronnement de deux mille ans de la vie intérieure d’un peuple de trois cents millions. Mort depuis quarante ans[1], il est un animateur de l’Inde de notre temps. Il n’était ni un héros de l’action, comme Gandhi, ni un génie de l’art ou de la pensée, comme Goethe ou Tagore. Il était un petit paysan brahmine du Bengale, dont la vie extérieure se déroula dans un cadre limité, sans incidents marquants, en dehors de l’action politique et sociale de son temps[2]. Mais sa vie intérieure embrassa la multiplicité des hommes et des Dieux. Elle participait à la source même de l’Énergie, la divine Çakti, que chante le vieux poète de Mithila, Vidyapati[3].

Très peu remontent à la source. Le petit paysan du Bengale, en écoutant son cœur, a retrouvé les chemins de la Mer intérieure. Et il l’a épousée, réalisant le verset des Upanishads[4] :

  1. En 1886. Il avait cinquante ans. Son grand disciple, Vivekananda est mort en 1902, à trente-neuf ans. Que l’on n’oublie point leur proximité ! Nous avons vu les mêmes soleils. Le même radeau du temps nous a portés.
  2. Tout autre, la vie de Vivekananda, qui parcourut l’Ancien et le Nouveau Continent.
  3. « Manifeste-toi, ô Déesse à l’épaisse chevelure !… Tu es une et multiple, tu contiens les milliers, et tu remplis le champ de bataille de l’ennemi !… » (Hymne à la Déesse de l’Énergie, Çakti.) Cf. sur Vidyapati, p. 36 de ce livre.
  4. Upanishad Taittiriya.

    Selon le Védanta, quand le Brahman absolu devient doué de qualités et commence à évoluer en l’univers vivant, il devient lui-même le premier évolué, le premier-né de l’Être, qui est l’Essence de toutes les choses visibles et invisibles. — Celui qui parle ici est supposé avoir atteint à l’Identité complète avec Lui.