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sont deux ordres de la même réalité[1]) ne domine à bon droit, dans l’histoire de l’homme, la personne d’un Platon. Elle est la création monumentale et nécessaire de l’Âme de l’humanité. Elle est son plus beau fruit, en un de ses automnes. Et le même arbre a produit, par une même loi de nature, la vie et la légende. Elles sont toutes deux la même chair vivante et le halo de son regard, de son souffle et de sa moiteur.

J’apporte à l’Europe, qui l’ignore, le fruit d’un nouvel automne, un message nouveau de l’Âme, la symphonie de l’Inde qui a nom Ramakrishna. On pourra démontrer (et nous ne manquerons pas de le signaler) que cette symphonie, comme celles de nos maîtres classiques, est maçonnée de cent éléments musicaux du passé. Mais la personnalité souveraine en qui se concentre la diversité des éléments, et qui les organise en une royale harmonie, est toujours celle qui donne son nom à l’œuvre, à

  1. L’attitude des grands Indiens religieux à l’égard de la légende est caractérisée par un curieux criticisme, qui se marie à la foi. Il est bien remarquable que l’existence historique des personnalités qu’ils adorent comme dieux leur est à peu près indifférente — en tout cas, secondaire. Pourvu qu’elle soit spirituellement vraie, logique et vivante, peu importe sa réalité objective. Le plus croyant des hommes, Ramakrishna, disait :

    — « Ceux qui ont pu concevoir de telles idées ont dû être la chose même. »

    Et Vivekananda, qui doutait de l’existence objective de Krishna, comme de celle du Christ (plus que de celle du Christ), affirmait :

    — « Mais aujourd’hui, Krishna est le plus parfait des Avatars. »

    Et il l’adorait. (Cf. Sister Nivedita : Notes of some wanderings with the Swami Vivekananda.)

    Les âmes vraiment religieuses reconnaissent le Dieu vivant, aussi bien dans l’empreinte qu’il a marquée sur le cerveau d’un peuple que dans la réalité d’une Incarnation. Ce sont deux réalités égales, aux yeux du grand croyant, pour qui tout le réel est Dieu. Et il n’est même pas sûr que, des deux, celle qui est la création d’un peuple ou d’un âge ne soit pas la plus imposante.