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Qu’on m’excuse si je dois, pour faire comprendre la pensée intime d’où est sortie cette œuvre, me mettre un moment en scène ! Mais c’est à titre d’exemple, nullement exceptionnel. Je suis un du peuple de France. Je sais que je représente des milliers d’hommes d’Occident, qui eux, n’ont pas les moyens ou le temps de s’exprimer. Chaque fois que l’un de nous parle, du fond du cœur, afin de se libérer, du même coup sa voix libère des milliers de silences. Donc, écoutez, non ma voix, mais l’écho !

Je suis né et j’ai passé mes quatorze premières années dans un pays du centre de la France, où ma famille était établie depuis des siècles. Ma race est exclusivement française et catholique sans aucun alliage étranger. Et le milieu d’enfance où j’ai été scellé jusqu’à mon arrivée à Paris, vers 1880, était d’une vieille province nivernaise, qui ne laissait filtrer aucun élément du dehors.

Or, en ce vase fermé, modelé dans l’argile des Gaules, avec son ciel bleu de lin et l’eau de ses rivières, j’ai trouvé, dès l’enfance, toutes les empreintes de l’univers. Quand plus tard, j’ai, le bâton à la main, parcouru les routes de la pensée, je n’ai, dans aucun pays, rien trouvé d’étranger. Toutes ces formes d’âmes m’étaient, dès l’origine, connues ou pressenties, étaient miennes. L’expérience du dehors m’apportait seulement la réalisation d’états intérieurs, que j’avais enregistrés, sans pouvoir toujours m’en procurer la clef. Ni Shakespeare ni Beethoven ni Tolstoï ni Rome, mes maîtres nourriciers, ne m’ont rien révélé que le : « Sésame, ouvre-toi ! » de ma ville