Page:Rolland - Vie de Beethoven.djvu/88

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

partir pour l’Amérique du Nord, si l’on veut parler, penser librement. » Mais nul pouvoir ne pouvait bâillonner la pensée de Beethoven. « Les mots sont enchaînés ; mais les sons par bonheur sont encore libres », lui écrit le poète Kuffner. Beethoven est la grande voix libre, la seule peut-être alors de la pensée allemande. Il le sentait. Souvent il parle du devoir qui lui était imposé d’agir, au moyen de son art, « pour la pauvre humanité », pour « l’humanité à venir » (der künftigen Menschheit), de lui faire du bien, de lui rendre courage, de secouer son sommeil, de flageller sa lâcheté. « Notre temps, écrivait-il à son neveu, a besoin de robustes esprits pour fouailler ces misérables gueuses d’âmes humaines. » Le docteur Müller dit, en 1827, que « Beethoven s’exprimait toujours librement sur le gouvernement, sur la police, sur l’aristocratie, même en public. La police le savait, mais elle tolérait ses critiques et ses satires comme des rêveries inoffensives ; et elle laissait en repos