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Dans une discussion de portée mondiale que je contais récemment, entre Gandhi et Tagore, à propos de la « Non-Coopération », — Tagore exprimait son éloignement instinctif « de tout ce qui était : « Non ! » — À quoi Gandhi répondait que « l’acte de rejeter n’est pas moins nécessaire que celui d’accepter, et que l’effort humain est fait des deux ». — Cela est juste. Mais le côté négatif (Anti-guerre, Anti-patrie, et toutes leurs applications pratiques : révoltes, grèves, destructions d’armes, etc.) est, dans votre doctrine, presque seul mis en lumière. Sans doute, vous pensez qu’à l’heure actuelle, c’est le plus urgent et le plus nécessaire. Je pense d’une façon différente, et je vais vous dire pourquoi.

Vous sous-estimez beaucoup trop l’adversaire, — la patrie guerrière. Il faut, si l’on veut vaincre, être profondément conscient de sa force, mais estimer impartialement celle de l’adversaire. Je ne parle pas seulement de la force, au sens brutal : celle-ci, en dépit des apparences, serait relativement facile à briser. Je parle de la vraie force, de la force morale.

Or, qu’un homme qui, comme moi, abhorre tout militarisme, qu’un internationaliste convaincu qui a rejeté pour toujours de soi le dogme de la patrie, ose le dire hautement ! La Patrie représente encore, à l’heure actuelle, un idéal puissant ; elle est, pour des millions d’êtres dans tous les pays, une foi brûlante, infiniment plus sincère, plus générale, et plus enracinée que celle des Églises. Si nous en sommes détachés, nous, ne commettons pas l’erreur de ne pas voir qu’elle existe, et qu’en dehors des politiciens et des capitalistes cyniques, sceptiques et éhontés, en dehors des grands troupeaux humains qui suivent servilement, sans comprendre, il y a dans le camp de la patrie une élite morale qui l’aime d’un amour