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mort du passé que traîne après lui l’esprit, ou de la ruse à ne pas voir ce qui le contraindrait à un nouvel effort, afin de s’en dégager. Ajoutons tous les risques, qu’entraîne une vue nouvelle de la société. Car voir oblige à agir. Et agir est périlleux, aux âges des grandes mutations.

C’est pourquoi notre génération d’intellectuels français a trouvé, parmi nos aînés, si peu d’aide à sortir de l’enchevêtrement des idéologies à double et triple faces. Bien plutôt, ces aînés, ainsi que pendant la guerre les maîtres de l’intelligence, se sont-ils acharnés à nous y emprisonner. Il a fallu faire seuls notre trouée, au travers. Et ce fut une rude tâche. Nous nous y sommes ensanglantés.

Nous étions des novices. Déshabitués d’agir sur le plan du réel, c’était à coups d’idéologies que, résistant à la guerre, nous avions, pendant la guerre, lutté contre les idéologies. Nous ne connaissions pas d’autres armes. Nous ne savions qu’opposer l’Esprit abstrait à la force, les droits de la conscience à la raison d’État, et à la violence sans frein la non-violence absolue.

C’est ainsi que nous abordâmes, au sortir de la guerre, en 1919, la confrontation des décrets de notre esprit à l’expérience sociale, qui s’effectuait, en ces jours, dans des conditions tragiques. À vrai dire, nous ne fûmes pas beaucoup, parmi les intellectuels, à poursuivre longtemps cette confrontation. Dès les premiers soupçons qu’elle tournerait peut-être à nos dépens, la plupart s’éclipsèrent, — de ceux mêmes, en nombre si réduit, qui avaient tenu tête à la guerre, — du moins idéologiquement. C’était assez, pour eux, d’avoir institué le procès de la guerre, par l’esprit. Ils n’étaient pas disposés à faire le procès de l’esprit.

Et cependant, il le fallait, pour pouvoir avancer. Nous nous sommes trouvés, et dès les premiers pas, dans une