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3. — LETTRE À EDMOND PRIVAT
SUR LA RÉVOLUTION ET LA NON-VIOLENCE[1].


… Il y a quelques années, Gandhi fut sur le point de venir en Suisse. Il dépendait d’une réponse de moi qu’il se décidât : car il désirait me rencontrer. Et je le désirais aussi. — Et cependant, je l’en ai dissuadé. J’aurais voulu qu’il vînt dans l’intention déterminée de se mettre en contact avec la jeunesse « Non-résistante » d’Europe, de l’écouter, de la guider, et non pas seulement pour causer avec moi : car je ne me sentais pas digne de lui ; je ne me reconnaissais pas le droit de lui prendre même quelques jours de sa vie précieuse qui appartenait à son peuple et à l’humanité. — Et d’autre part, Gandhi n’était nullement tenté de confronter sa pensée avec celle d’une jeunesse européenne. La prudence de sa nature va pas à pas ; il pratique, sans la connaître, la sagesse du proverbe français : « Qui trop embrasse mal étreint » ; et il s’est toujours refusé à intervenir dans les problèmes d’Europe, avant que ceux de l’Inde soient réglés.

Il n’en reste pas moins qu’à cette époque déjà — et combien plus aujourd’hui ! — j’ai senti la nécessité indispensable de cette confrontation de Gandhi avec l’Europe[2]. Et aujourd’hui, je me jugerais plus autorisé à en discuter avec Gandhi.

  1. 5 mai 1931.
  2. Depuis, cette confrontation a eu lieu, et Gandhi est venu me voir à Villeneuve (décembre 1931). Mais il s’est refusé à juger des affaires d’Europe. Il n’avait point d’ailleurs le temps de les étudier. La situation dans l’Inde exigeait toute son attention. Il s’est contenté d’exposer sa doctrine morale, dans des conférences à Londres, Paris, Lausanne et Genève.