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En toute sincérité, pensons-nous que nos voix d’intellectuels indépendants (ils n’ont jamais été légion, ils le sont moins que jamais) et les bonnes volontés de quelques milliers — mettons de quelques millions de braves gens qui nous écoutent, trop passivement, suffisent à faire tomber, par une procession de conférences autour d’elles, les murailles de Jéricho ? Il s’agit, non pas seulement d’ébranler, mais de soulever et d’armer l’opinion d’un peuple. Le pouvons-nous, avec nos armes actuelles ? Nos armes actuelles, c’est le suffrage universel. Nous allons voir ce qu’il va donner ! En ce moment, se livre le combat des élections. Quel qu’en soit le résultat, bonnes gens, mes compagnons, attendez-vous que l’état des choses en soit vigoureusement transformé, (comme il est indispensable à présent : car il ne s’agit plus de mettre des emplâtres sur des bobos, il faut opérer vite et profond le cancer) ? Or, quelques changements que les élections amènent dans le personnel du Parlement, vous imaginez-vous sérieusement que l’un ou l’autre des partis aura la force — qu’il aura même la volonté — de crever l’abcès, d’extirper toutes ces tumeurs issues de la guerre, de juguler ces grandes puissances meurtrières de l’industrie lourde et des armements, et d’imposer la révision du statut politique qui est le terrain malsain sur lequel elles prospèrent ?

Pour moi, je ne le pense absolument pas. Nous connaissons trop les chefs des partis parlementaires en présence, pour nourrir l’espoir qu’il y ait en eux l’élan d’un héroïque rajeunissement. Et quant au pouvoir de l’élite intellectuelle indépendante, depuis quinze ans que je m’efforce de la rassembler, j’ai appris le peu qu’elle est, le peu qu’elle peut, isolée comme elle le fait, des couches profondes du pays. Je l’ai écrit à plusieurs de mes amis