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Une Hongrie, une Bulgarie, surtout une Autriche, (pour ne parler que de celles-ci), telles qu’elles sont sorties de leurs mains, font penser à ces monstres sans visage, sans bras, sans jambes, sans sexe, chefs-d’œuvre de la chirurgie des champs de bataille. Que des hommes politiques, des diplomates, aient pu se livrer à cette boucherie dérisoire, c’est un crime non seulement contre les nations vaincues et mutilées, mais contre les vainqueurs, contre l’Europe et contre leurs propres pays : car les explosions du désespoir qui en seront les fatales conséquences ébranleront jusqu’aux fondements la puissance matérielle et morale des vainqueurs qui ont abusé de la victoire. Qu’ils ne comptent pas que quinze ans d’impunité établissent une prescription ! Il n’est jamais de prescription pour un état de choses contre nature. Plus il se prolonge, plus il s’infecte.

J’ai dit vingt fois que le salut de la France et de l’Europe ne peut venir que de l’initiative franche et hardie des vainqueurs — et en premier lieu, du plus puissant : la France — à rechercher loyalement, dans un Conseil de toutes les nations, les erreurs funestes des traités qu’ils ont imposés et les moyens de les réparer ou de les atténuer, en arbitrant les conflits qui rongent l’Europe malsaine d’après-guerre. Je le redis, sans grand espoir d’être écouté.

Alors, la parole sera à la Dikê — la dure Loi de Justice immanente à l’histoire. Les destins de l’Europe ne pèseront pas lourd dans ses mains. Je crains qu’on ne distingue plus, après qu’elle aura passé, entre vainqueurs et vaincus. Tous vaincus… « Etiam periere ruinæ… »