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de la terre et de son exploitation, bêtes et gens et biens (les biens surtout, les gens ne comptent guère) ?… En ce cas, je crains fort qu’une telle paix ne nécessite un état de guerre perpétuel, car elle est elle-même un état de guerre, elle est une paix de la force, et elle ne durera que ce que durera la force chargée de la garder. En quoi donc vous servirait-il de la proclamer, et d’exiger l’abolition des armées ? Ce serait un non-sens dans les termes : car cette paix est, comme le Dominus Deus Sabaoth, une paix des armées. Il faut bien qu’elle reste armée.

J’ai entendu, jadis, un grand businessman dire avec bonhomie ce mot, qui manque un peu de délicatesse, mais non point de bon sens : « En affaires, on ne peut pas à la fois manger et dormir. Il faut choisir… » Une paix qui mange et qui veut absorber une partie du monde, ne peut pas s’offrir le luxe de dormir à l’abri du souci.

La grande crise de ce temps, voyez-vous, n’est pas seulement une crise politique, économique et sociale. Elle est en fin de compte, une crise morale, une crise de la conscience du monde. Nous nous trouvons à un tournant de l’humanité, où il faut choisir entre deux idéaux : l’idéal de l’avenir et l’idéal du passé. Or, l’un n’est pas encore mûr, et l’autre est plus que mûr, il commence à mourir. Nous voyons se débattre le mourant. Nous entendons vagir l’enfant. Et entre l’un et l’autre, nous ne pouvons nous décider. Cela se comprend ; les deux voix qui nous parlent sont également respectables, ce sont des voix de la piété. Et pourtant, mes amis, il faudra se décider.

L’idéal qui s’en va est la Patrie nationale, qui veut être et rester la première, qui entend maintenir, coûte que coûte, sa suprématie « über alles !… »

L’idéal qui vient est la Patrie humaine, qui demande à toutes les nations, de se consentir des sacrifices mutuels,