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discours sur l’origine de l’inégalité

choses le moment où, le droit succédant à la violence, la nature fut soumise à la loi ; d’expliquer par quel enchaînement de prodiges le fort put se résoudre à servir le faible, et le peuple à acheter un repos en idée au prix d’une félicité réelle.

…Il y a une qualité très spécifique qui distingue l’homme de l’animal, et sur laquelle il ne peut y avoir de contestation : c’est la faculté de se perfectionner ; faculté qui, à l’aide des circonstances, développe successivement toutes les autres, et réside parmi nous tant dans l’espèce que dans l’individu.

…Chez toutes les nations du monde les progrès de l’esprit se sont précisément proportionnés aux besoins que les peuples avaient reçus de la nature, ou auxquels les circonstances les avaient assujettis, et par conséquent aux passions qui les portaient à pourvoir à ces besoins.

Plus on médite sur ce sujet, plus il est impossible de concevoir comment un homme aurait pu par ses seules forces, sans le secours de la communication et sans l’aiguillon de la nécessité, franchir un si grand intervalle.

…Je ne crois pas avoir aucune contradiction à craindre en accordant à l’homme la seule vertu naturelle qu’ait été forcé de reconnaître le détracteur le plus outré des vertus humaines. Je parle de la pitié, disposition convenable à des êtres aussi faibles et sujets à autant de maux que nous le sommes ; vertu d’autant plus universelle et d’autant plus