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jean-jacques rousseau

tous les partis, qui devaient s’entre-dévorer : Barnace, Danton, Carnot, Billaud-Varenne, Goujon, Manon Roland, étaient unis dans le culte qu’ils lui rendaient. Brissot fut mis à la Bastille, pour avoir développé les conséquences du « Discours sur l’Inégalité ». Robespierre, qui avait vu Rousseau aux derniers jours de son existence, lui voua sa vie, dans une sorte d’ex-voto qu’il lui dédia, à la veille de son entrée dans l’action politique. Il s’appuyait sur ses leçons, à la tribune, et, parvenu au faîte de la puissance, il s’exalta, dans son fameux discours du 18 floréal (7 mai 1794), où, le vengeant de l’hostilité des Encyclopédistes, il lui faisait hommage de « cette Révolution, dont il avait été le précurseur, et qui le portait au Panthéon ». Il lui décernait, avec la couronne de chêne, « le ministère de précepteur du genre humain ». Dans la salle de l’Assemblée Constituante, le buste de Jean-Jacques faisait vis-à-vis de ceux de Franklin et de Washington.

Mais l’influence de Rousseau s’étendait bien au delà de la politique. Elle pénétrait et fécondait la philosophie de l’Allemagne. Kant fut bouleversé par la lecture de l’Emile ; il avouait qu’il ne pouvait jamais le relire sans transports. « Il fut un temps, disait-il, où je songeais orgueilleusement que le savoir constituait l’honneur de l’humanité, et je méprisais le peuple ignorant. C’est Rousseau qui m’a dessillé les yeux. Cette illusoire supériorité s’évanouit : j’appris à honorer les