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jean-jacques rousseau

était terriblement sérieux. On prenait peur, en l’entendant lancer son anathème contre les riches, et, contre « le despotisme élevant par degré sa tête hideuse », déclarer l’émeute « un acte juridique », quand elle étrangle ou détrône le tyran.

Ce qui ajoutait encore aux menaces d’une telle pensée, c’est qu’elle disposait, par son génie d’élocution, d’un rayonnement inouï sur les masses. Elle s’était créé un style de plein air, fait pour soulever des milliers, et qui écrasait tout autre style des écrivains de cabinet[1].

On le vit bien, dans sa troisième lettre (à d’Alembert) sur les spectacles (1758), — 283 pages, — un torrent d’éloquence passionnée qui enflamma l’opinion. Elle est déjà, par endroits, un discours de la Révolution. D’Alembert, intimidé, lui, le savant illustre, membre de cinq ou six Académies, ne croise le fer qu’avec crainte contre cet inconnu d’hier, qui n’avait d’autre titre que celui de « citoyen de Genève » :

  1. Rousseau lui-même énonçait son principe de puissant style nouveau :

    — « Il ne s’agit plus de parler au petit nombre, mais au (grand) public… Il a donc fallu changer de style : pour me faire mieux entendre à tout le monde, j’ai dit moins de choses en plus de mots ». (Préface à la Lettre à d’Alembert).

    Et son adversaire, d’Alembert, en convient :

    — « Il n’appartient qu’à vous d’être long et d’être lu ».