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sa nourriture par son travail, et il a dit que ceux qui mangent sans travailler sont des voleurs… Pensons aux millions d’êtres humains qui sont aujourd’hui moins que des animaux, qui sont presque à la mort ! Le rouet est la vie pour les millions de moribonds. C’est la faim qui pousse l’Inde au rouet… Le Poète vit pour le lendemain et voudrait que nous fissions de même. Il présente à nos regards extasiés la belle peinture des oiseaux, de bon matin chantant des hymnes de louanges, ou prenant leur essor. Ces oiseaux sont nourris. Ils ont leur aliment quotidien, et ils prennent leur essor avec des ailes reposées, dont le sang s’est renouvelé pendant la nuit. Mais j’ai eu la douleur d’observer des oiseaux qui, faute de forces, n’avaient même plus le désir d’agiter faiblement leurs ailes. L’oiseau humain, sous le ciel indien, se lève plus faible que lorsqu’il a fait semblant de se reposer. Pour des millions d’êtres, la vie est une veille éternelle, ou une catalepsie éternelle… J’ai trouvé impossible d’adoucir la souffrance des affamés avec un chant de Kabir… Donnez-leur du travail, afin qu’ils puissent manger !… Mais pourquoi, demande-t-on, moi qui n’ai pas besoin de travailler pour manger, filerais-je ? Parce que je mange ce qui ne m’appartient pas. Je vis de la spoliation de mes compatriotes. Suivez à la trace toutes les pièces de monnaie qui arrivent dans votre poche, et vous verrez la vérité de ce que je dis… Il faut filer. Que chacun file ! Que Tagore file, comme les autres ! Et qu’il brûle ses vêtements étrangers !… C’est le devoir d’aujourd’hui. Dieu s’occupera de demain. Comme dit la Gîtâ : Accomplis l’action juste ! »