Page:Rolland - Les Précurseurs.djvu/68

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
64
LES PRÉCURSEURS

Le principal collaborateur de Max Eastman, John Reed, s’applique à mettre en lumière le rôle prépondérant du capitalisme américain dans la guerre. En un article qui reprend le titre de l’ouvrage de Norman Angell, La grande illusion, il dit que la prétention de combattre les rois est un prétexte ridicule, et que le vrai roi est l’Argent. Mettant le doigt sur la plaie, il établit par des chiffres les gains monstrueux des grandes compagnies américaines. Sous ce titre bizarre : Le mythe de la graisse américaine (The myth of american fainess)[1], il montre que ce n’est pas, comme on le croit en Europe, la nation américaine qui s’engraisse de la guerre, mais seulement les 2 p. 100 de sa population. Tout le reste est peuple maigre, et, de jour en jour, plus maigre. De 1912 à 1916, les salaires ont été élevés de 9 p. 100, tandis que les dépenses d’alimentation s’accroissaient de 74 p. 100, dans les deux dernières années. De 1913 à 1917, la hausse générale des prix a été de 85,32 p. 100 (farine 69 p. 100, œufs 61 p. 100, pommes de terre 224 p. 100 ! De janvier 1915 à janvier 1917, le charbon est monté de 5 à 8 dollars 75 la tonne). L’ensemble de la population a donc cruellement à souffrir de la gêne, et de graves émeutes de famine ont éclaté à New-York. Naturellement, la presse européenne n’en a point parlé, ou les a mises sur le compte des Allemands.

Pendant ce temps, les 24 grandes Compagnies (acier, fonte, cuir, sucre, chemins de fer, électricité, produits chimiques, etc.) ont vu, de 1914 à 1916, leurs dividendes monter de 500 p. 100. « L’Acier de Bethléem » (Bethlehem Steel Corporation) a passé de 5 millions

    laquelle on implique tous les gêneurs indépendants dans de prétendus « complots ».

  1. Numéro de juillet 1917.