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LES PRÉCURSEURS

la liberté viendra après la guerre »[1]. Aux États-Unis, comme en Europe, la guerre est, dit-il, l’œuvre des capitalistes et d’un groupe d’intellectuels (religieux et laïques)[2]. Max Eastman insiste sur le rôle des intellectuels, et son collaborateur John Reed sur celui des capitalistes. — Les mêmes phénomènes, économiques et moraux, se font sentir dans l’Ancien et dans le Nouveau Monde. Une partie des socialistes américains, comme leurs frères d’Europe, se sont ralliés à la guerre ; et nombre d’entre eux (notamment Upton Sinclair, dont je connais et apprécie personnellement la sincérité morale et l’esprit idéaliste) ont adopté un étrange militarisme : ils sont devenus les champions les plus ardents de la conscription universelle, comptant, après la « guerre des démocraties », se servir de l’armée disciplinée pour l’action sociale[3].

Quant aux hommes d’Église, ils se sont jetés en masse dans la fournaise. À une réunion des pasteurs méthodistes de New-York, l’un d’eux, le pasteur de Bridgeport (Conn.) ayant eu la candeur de dire : « Si j’ai à choisir entre mon pays et mon Dieu, je choisis mon Dieu », fut hué par les 500 autres, menacé, appelé traître. — Le prédicateur Newel Dwight Hillis, de l’église de Henry Ward Beecher, dit à son auditoire : « Tous les enseignements de Dieu sur le pardon doivent être abrogés, à l’égard de l’Allemagne. Je suis disposé à pardonner aux Allemands leurs atrocités, aussitôt qu’ils seront tous fusillés. Mais si nous consentions à pardonner à l’Allemagne, après la guerre, je croirais que l’univers est devenu fou. »

Une sorte de derviche hurleur, Billy Sunday, sorti on ne sait d’où, braille à des multitudes un Évangile

  1. Article : Pour la démocratie, juin 1917.
  2. Article : Qui a voulu la guerre ? juin 1917.
  3. Les socialistes et la guerre, juin 1917.