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LES PRÉCURSEURS

erreurs que souhaite autour d’eux l’opinion surexcitée, et peut-être (à leur insu) leur cœur. On trouve plus commode, et aussi plus prudent, de se satisfaire des renseignements qu’apportent à domicile les grands fournisseurs, sans faire l’effort d’aller les chercher sur place, pour les reviser ou pour les compléter.

Quelle que soit la raison de ces erreurs ou de ces manques, ils sont graves ; et le public commence à s’en apercevoir[1]. On comprend parfaitement que les idées de tel ou tel parti social ou politique, chez les nations belligérantes, soient en opposition avec celles de tel ou tel journal de pays neutre. Nul ne s’étonnera que ces journaux les désapprouvent ouvertement ; on trouvera même naturel qu’ils les soumettent à une critique vigilante. Mais on ne saurait admettre qu’ils les passent sous silence ou qu’ils les dénaturent.

Or, est-il excusable, par exemple, qu’on ne connaisse de la révolution russe que les informations issues de sources gouvernementales (pour la plupart, non russes) et de partis hostiles qui s’acharnent à diffamer les partis avancés, sans que jamais les grands journaux suisses cèdent la parole aux calomniés, même quand l’outrage s’adresse à des hommes dont le génie et la probité intellectuelle sont l’honneur de la littérature

  1. J’en vois un indice dans la fondation récente et le succès de nouveaux journaux ou revues suisses qui réagissent contre ces procédés. Au reste, les regrets que j’exprime l’ont été, maintes fois, par des écrivains suisses indépendants, comme M. H. Hodler (dans la Voix de l’Humanité), M. Ed. Platzhoff-Lejeune (dans Cœnobium et dans la Revue Mensuelle), et tout récemment par M. Adolphe Ferrière, dans un excellent article de Cœnobium (mars–avril 1917) : Le rôle de la presse et de la censure dans la haine des peuples.