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LES PRÉCURSEURS

vies[1]. Quand l’Europe arrivera tardivement, rechignante, comme une rosse rétive, à se convaincre de la nécessité d’unir ses forces, ce sera l’union hélas ! de l’aveugle et du paralytique. Elle parviendra au but, saignée et épuisée.

Mais nous, il y a longtemps que nous vous y attendons, il y a longtemps que nous avons accompli l’unité, âmes libres de tous les temps, de toutes les classes, de toutes les races. Des lointains de l’antiquité d’Asie, d’Égypte et d’Orient, jusqu’aux Socrates et aux Luciens modernes, aux Morus, aux Érasme, aux Voltaire, jusqu’aux lointains de l’avenir, qui retournera peut-être, bouclant la boucle du temps, à la pensée d’Asie, — grands ou humbles esprits, mais tous libres, et tous frères, nous formons un seul peuple. Les siècles de persécutions, d’un bout de la terre à l’autre, ont lié nos cœurs et nos mains. Leur chaîne indestructible est l’armature de fer qui tient la molle glaise humaine, cette statue d’argile, la Civilisation, toujours prête à crouler.


(Le Carmel, Genève, décembre 1916).
  1. « La nature, dit Voltaire, est comme ces grands princes qui comptent pour rien la perte de 400.000 hommes, pourvu qu’ils viennent à bout de leurs augustes desseins. » (L’Homme aux quarante écus.)

    Les grands et les petits princes d’aujourd’hui ne se contentent pas à si bon marché !