Page:Rolland - Les Précurseurs.djvu/215

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
211
LES PRÉCURSEURS

prit son parti de cette mesure arbitraire et absurde, et il occupa ses loisirs à rédiger son livre sur « La Biologie de la guerre ». Survint le torpillage du Lusitania. Nicolaï en fut bouleversé ; il en éprouva, dit-il, comme une douleur physique. À table, parmi quelques camarades, il déclara que « la violation de la neutralité belge, l’emploi de gaz vénéneux, le torpillage de vaisseaux de commerce, étaient non seulement un forfait moral, mais une stupidité sans nom, qui ruinerait tôt ou tard l’empire allemand. » L’un des convives, son collègue, le Dr Knoll, n’eut rien de plus pressé que de le dénoncer. De nouveau déplacé, Nicolaï fut envoyé en disgrâce dans un des coins les plus perdus d’Allemagne. Il protesta, au nom du droit. Il en appela à l’Empereur. L’Empereur, lui assura-t-on, écrivit en marge de son dossier : « Der Mann ist ein Idealist, man soit ihn gewähren lassen ! » (« L’homme est un idéaliste : qu’on le laisse tranquille ! »)

On le renvoya à Berlin, dans l’hiver de 1915–1916, avec l’avis d’être sage. Sans en tenir compte, il commença sur le champ, à l’Université, son cours sur « la guerre, comme facteur d’évolution dans l’histoire de l’humanité ». On ferma le cours, à peine ouvert, et on expédia Nicolaï à Dantzig. Interdiction formelle de parler et d’écrire sur les sujets politiques. Nicolaï excipe de sa qualité de médecin civil. On prétend l’obliger au serment de fidélité et d’obéissance. Il s’y refuse. On le convoque devant un conseil de guerre, on l’avertit des conséquences de son acte : il ne veut pas céder. On le dégrade, il devient simple soldat. Pendant deux ans et demi, il est employé sanitaire, occupé à un ridicule travail de bureau. Il n’en a pas moins terminé son livre, qui s’imprime en Allemagne. Les 200 premières pages étaient tirées, quand l’ouvrage est dénoncé par un fondé de pouvoir d’un grand chantier de construction de sous-marins, qui