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LES PRÉCURSEURS

tion. Un beau livre de Kropotkine a relevé ceux-ci, dans l’ensemble de la nature. Et les observations très précises de Forel montrent que, chez les fourmis, l’instinct de guerre et de rapine trouve sur son chemin des instincts contraires, qui peuvent victorieusement l’arrêter ou le modifier.

En premier lieu, Forel établit que l’instinct de guerre n’est pas fondamental ; on ne le trouve pas à l’éveil de la vie des fourmis. En mettant ensemble des fourmis fraîchement écloses de trois espèces différentes, Forel obtient une fourmilière mixte, vivant en parfaite intelligence. Le seul instinct primordial des nouvelles écloses est le travail domestique et le soin des larves. « Ce n’est que plus tard que les fourmis apprennent à distinguer un ami d’un ennemi, à savoir qu’elles sont membres d’une fourmilière et à combattre pour elle[1]. »

La seconde remarque, encore plus surprenante, est que l’intensité de l’instinct guerrier est en proportion directe du nombre de la collectivité. Deux fourmis d’espèces ennemies qui se rencontrent isolément sur un chemin, à grande distance de leur nid et de leur peuple, s’évitent et filent, chacune d’un côté différent. Si même vous les prenez en plein combat, dans la mêlée générale, et si vous les mettez toutes deux seules dans une boîte très petite, elles ne se feront aucun mal. Si, au lieu de deux fourmis ennemies, vous en enfermez un nombre restreint dans un espace étroit, elles ébaucheront un commencement de combat sans vigueur et sans suite, puis cesseront, et très souvent finiront par s’allier. Et, ajoute Forel, l’alliance une fois faite ne peut plus se défaire. Mais replacez les mêmes fourmis

  1. Auguste Forel : Les Fourmis de la Suisse (1874, Zurich ; p. 261–263).