Page:Rolland - Les Précurseurs.djvu/18

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

II

La route en lacets qui monte

Si depuis une année je garde le silence, ce n’est pas que soit ébranlée la foi que j’exprimai dans Au-dessus de la mêlée (elle est beaucoup plus ferme encore) ; mais je me suis convaincu de l’inutilité de parler à qui ne veut pas entendre. Seuls, les faits parleront, avec une tragique évidence ; seuls, ils sauront percer le mur épais d’entêtement, d’orgueil et de mensonge, dont les esprits s’entourent, pour ne pas voir la lumière.

Mais nous nous devons entre frères de toutes les nations, entre hommes qui ont su défendre leur liberté morale, leur raison et leur foi en la solidarité humaine, entre âmes qui continuent d’espérer, dans le silence, l’oppression, la douleur, — nous nous devons d’échanger, au terme de cette année, des paroles de tendresse et de consolation ; nous nous devons de nous montrer que dans la nuit sanglante la lumière brille encore, qu’elle ne fut jamais éteinte, qu’elle ne le sera jamais.

Dans l’abîme de misères où l’Europe s’enfonce, ceux qui tiennent une plume devraient se faire scrupule de jamais apporter une souffrance de plus à l’amas des souffrances, ou de nouvelles raisons de haïr au fleuve brûlant de haine. Deux tâches restent possibles pour les rares esprits libres qui cherchent à frayer aux autres une issue, une brèche, au travers des amoncellements de crimes et de folies. Les uns, intrépidement, prétendent ouvrir les yeux à leur propre peuple sur ses erreurs. Ainsi font les courageux Anglais de l’Inde-