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LES PRÉCURSEURS

il bénit l’épreuve, le feu, la mort, l’opprobre, l’ennemi. Le peuple crie : « Lapidez-le ! Crucifiez-le ! » — Jérémie étend les bras en croix ; affamé de martyre, il prophétise le Crucifié ; il veut l’être. Il le serait, si des fuyards ne se ruaient sur la place, criant : « Les murailles sont tombées, l’ennemi est dans la ville ! » — La foule se précipite au Temple.

Scène VIII : « Le tournant » (Die Umkehr)

Dans l’ombre d’une vaste crypte, une foule est prostrée. Çà et là, des groupes se pressent autour d’un vieillard qui lit l’Écriture. À l’écart, immobile et comme pétrifié, Jérémie. — C’est la nuit qui a suivi la prise de Jérusalem. Tout est mort et détruit ; les tombeaux sont violés, le Temple profané ;’tous les nobles sont tués, sauf le roi qui a été supplicié. Jérémie crie d’effroi, quand il apprend que ses prédictions sont réalisées. On s’écarte de lui, comme d’un maudit qui porte la malédiction. En vain se défend-t-il avec angoisse du mal qu’on lui attribue :

— « Je ne l’ai pas voulu ! Vous ne pouvez pas m’accuser, le mot est sorti de moi, comme le feu de la pierre ; ma parole n’est pas ma volonté ; la Force est au-dessus de moi, Lui, Lui, le Terrible, l’Impitoyable ! Je ne suis que son instrument, son souffle, le valet de sa méchanceté… Oh ! malheur sur les mains de Dieu ! Celui qu’il saisit, le Terrible, Il ne le lâche plus… Oh ! qu’il m’affranchisse ! Je ne veux plus porter ses paroles, je ne veux plus, je ne veux plus… ».

Des sonneries de trompes, au dehors, annoncent la volonté de Nabukadnézar : la ville doit disparaître de terre ; une nuit est donnée aux survivants pour enterrer les morts, puis ils seront traînés en captivité. Le peuple se désole, refuse de partir. Seul, un blessé qui souffre veut vivre, vivre ! Une jeune femme lui fait écho : elle ne veut pas aller dans le froid, dans la mort.