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LES PRÉCURSEURS

universelle, ont fait rentrer en lui le calme qui se résigne au destin, parce qu’il voit que le destin mène à Dieu, qui est l’union des âmes. Israélite de race, il a puisé dans la Bible son inspiration. Il n’avait pas de difficulté à y trouver des exemples pareils de démence des peuples, d’écroulement des empires, et d’héroïque patience. Une figure l’attira surtout : celle du grand Précurseur, le Prophète, outragé, de la paix douloureuse qui fleurit sur les ruines — Jérémie.

Il lui a consacré un poème dramatique, dont je vais donner l’analyse, avec de larges extraits. Neuf tableaux en une prose mêlée de vers libres ou réguliers, suivant que la passion s’exalte ou se maîtrise. La forme est ample et oratoire ; les développements de la pensée, majestueusement balancés, gagneraient peut-être à des raccourcis, qui laissent à l’expression plus d’imprévu. Le peuple tient une place capitale dans l’action. Ses répliques s’entrecroisent, heurtées, contradictoires ; à la fin, elles s’unissent en des chœurs aux strophes ordonnées, que gouverne la pensée du prophète, gardien d’Israël. Le poète a su éviter également l’archaïsme et l’anachronisme. Nous retrouvons nos préoccupations actuelles dans cette épopée de la ruine de Jérusalem, mais à la manière dont les croyants des siècles derniers découvraient quotidiennement dans leur Bible, la lumière qui éclairait leur route, aux heures d’indécision ; Sub specie aeternitatis.

« Jérémie est notre prophète, me disait Stefan Zweig, il a parlé pour nous, pour notre Europe. Les autres prophètes sont venus à leur temps : Moïse a parlé et a agi. Christ est mort et a agi. Jérémie a parlé en vain. Son peuple ne l’a pas compris. Son temps n’était pas mûr. Il n’a pu qu’annoncer et pleurer les ruines. Il n’a rien empêché. Ainsi, de nous ».

Mais il est des défaites plus fécondes que des victoires, et des douleurs plus lumineuses que des joies. Le