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ce qu’il veut, c’est l’os à broyer : — l’ennemi. — (Est l’ennemi, tout ce qui menace la cause ; et pour le supprimer, tous les moyens sont bons. L’action qui risque pour la cause ne sent jamais mauvais.) Il est de ceux qui, sans bruit, sans nom, étendent sur le monde la toile d’une surveillance occulte, raflant les mouches à l’autre araignée : l’  « Intelligence Service » du British Empire. Sa forte vie physique se satisfait à peu de frais : il mange sur le pouce, et on pourrait dire qu’il couche debout ; il n’a pas le temps de se prélasser sur une femme. Mais quand son œil exercé discerne, au passage, une énergie — une houille rouge — à capter, pour le service de la cause, il étend la griffe, et il la marque, bon gré mal gré, propriété d’État. Il a marqué Assia. Il peut tout ignorer de sa nature féminine, de son humeur, de ses désirs qui viennent du sexe : car du féminin, de l’  « ewig weiblich », il ne se soucie point ; mais il connaît mieux qu’elle l’  « ewig menschlich », les forts instincts qui, par delà la porte du sexe, sortent du nœud de serpents enlacés des entrailles humaines, la gueule affamée de l’être, mâle ou femelle, qui est comme une torche au fond du ventre, brûlante d’être, de croître, créer, dévorer, détruire, et d’agir. Sa main n’a pas besoin de se poser sur le ventre de Assia, pour y sentir brûler la torche.

Assia a beau faire : c’est elle qui va le trouver. Un jour qu’il sort sans la regarder, elle se lève — (tous ses papiers sont rangés) — et elle lui dit :

— « Camarade, veux-tu faire route ensemble ? »

Ils vont. Djanelidze est plus attentif à ceux qui passent dans la rue qu’à la femme qui lui emboîte le pas. Mais à certaines questions qu’elle lui fait, son attention se réveille ; il la regarde : le poisson mord. Assia l’interroge avec une ardeur anxieuse sur les problèmes de la Russie nouvelle et sur les chances du combat