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— « Ça te plaira. »

Elle avait accepté, malgré elle, ce diapason. Il lui fallait continuer. Ses lèvres dirent (ses oreilles s’étonnèrent de s’entendre dire) :

— « Camarade, ce qui me plaît est mon affaire. Fais-moi le plaisir de t’occuper de ce qui te concerne ! »

— « Tu me concernes. »

Ils se fixèrent dans les yeux, le menton appuyé sur les poings, se soufflant au nez la fumée de leur cigarette. Assia dit :

— « Tu as du culot. »

— « J’en ai », dit-il.

— « Qu’est-ce que tu veux de moi ? »

— « Que tu nous serves ».

— « Le mot « servir » n’est pas dans mes papiers. »

— « Il y est », dit-il. « Tu ne sais pas lire. »

Elle s’emporta : il y avait trop longtemps que ce ton d’insolente assurance l’exaspérait.

— « Enfin ! » cria-t-elle, tapant de son poing sur la table, « est-ce toi ou moi qui dispose de moi ? »

— « Ni toi, ni moi », dit-il. « C’est la loi. »

— « Quelle loi ? »

— « La loi de nature. La loi de combat. Ou contre nous. Ou avec nous. Tu ne peux pas contre. »

— « Je l’ai pu. »

— « Tu ne l’as pas pu ! »

— « Ne me défie pas ! Ou je te raconte tout ce que j’ai fait !… »

— C’est inutile. Veux-tu que moi, je te renseigne ? »

Penché vers elle, à mi-voix, à mots hachés, les dents serrées sur sa cigarette, il lui jeta pêle-mêle une demi-douzaine de petits faits, qu’elle croyait connus d’elle seule, ou disparus avec ceux qui en avaient été complices ou victimes ; certains venaient des forêts d’Ukraine, d’autres de son galetas solitaire à Paris.