Soudain, le torrent se cabre, la peau se hérisse, des rides courent sur la nappe d’eau — la nappe de sang… Et, d’un seul coup, le fleuve se fige, entier, du talon au front ; il est de fer, et il se tend, comme une échelle gigantesque, appliquée au mur du mont, une crémaillère en fonte rouge, dont chaque vivant forme un cran ; elle escalade une de ces Alpes, que les pieds d’Annette connaissent bien, qu’ils ont aimée, où ses jarrets jadis ont grimpé, avec les bataillons de sapins à l’assaut, — au delà de la frontière des forêts, — une pyramide de basalte, avec une chevelure de glaciers et une écume de nuages durs accrochés à sa crête de neige qui se recourbe, comme le bec d’un Matterhorn… Et sur l’échelle métallique, du fond du gouffre, monte un lourd pas qui fait trembler, du bas en haut, tout le métal érigé, javelot qui vibre, lancé contre le ciel. L’échelle en feu dur et congelé, geint sous le fardeau. Chaque échelon frémit du frémissement de tous les autres, qui s’amplifie à mesure que le pas se rapproche ; et tous sont, de la base à la cime, reliés par le même frémissement. Mais, pareils aux tiges d’herbes hautes d’un champ, que ploie le vent dans le même sens, tous ploient penchés vers ce qui monte, vers l’en-bas. À chaque fois que la griffe invisible mord sur un cran de l’échelle et le broie, le monde entier est incliné vers le point d’agonie, qui supporte en succombant la masse entière du Destin ; l’échelon vivant qui craque, combat et meurt pour tous ; et dans son spasme se ramassent tous les souffles des vivants. Mais aussitôt que le combat est livré et que le Broyeur invisible a passé, ne laissant derrière lui que des cendres, l’herbe, rebroussée par le vent de feu, se reploie toute dans son sillage, vers l’en-haut ; l’échelon de vie calciné vibre maintenant des combats qui se livrent au-dessus, dans l’avenir. Le courant d’être tout entier coule, de celui