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bourrelet ; une seconde, elle hésite, puis déborde ; et elle croule… Le fleuve de lave croule en haut ! Les lois terrestres sont retournées. La gravitation « zieht uns hinan… »

— « Rivière suis — (c’était mon nom ; dès l’origine, mon destin était inscrit, mais il ne s’éclaire qu’aujourd’hui ; — Rivière de l’Être, Rivière des êtres, Rivière des âges, qui gravit, en serpentant, les flancs escarpés du mont. Au-dessous de moi, en me penchant, je vois les anneaux indéfinis qui se déroulent et qui s’enroulent. Et au-dessus, la tête allongée du serpent, qui s’érige, frayant son chemin, tâtant les aspérités des rocs qui surplombent, et s’y hissant. Et tout au haut, et tout au fond, au delà des cimes, l’abîme du ciel océan… » À chaque élan, dont le frisson parcourt, d’un bout à l’autre, la coulée, Annette se bande : la flèche de l’arc va jaillir…

Et ceux qui, autour d’elle, ont des yeux pour ne pas voir, voient ses mains maigres qui se crispent sur ses draps. Sous le doigt qui tâte, son pouls s’éteint ; mais elle, encore, écoute battre son cœur. Elle ne distingue plus même l’ombre de la tête de Assia, dont elle sent le souffle sur sa face ; mais elle entend distinctement les voix, qui ne se mèfient plus. Son corps, lardé de piqûres d’huile camphrée et de caféine, est extérieurement insensible ; mais l’ouïe persiste ; et, dans l’envahissement de la nuit, toute la lumière s’y concentre. Derniers murmures de la terre… Le torrent passe, comme un express, d’où l’on a vue, par la portière, les fenêtres éclairées des maisons, qu’on laisse derrière soi. Annette voudrait leur tendre les bras : ses bras sont de pierre. Elle sourit : à peine une lueur s’est dessinée aux lèvres ; mais Assia, la face collée contre la sienne, l’agrippe… La lueur est rentrée dans l’ombre. Le train est loin. La voyageuse est emportée…