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Elle regarde avidement, de ses grands yeux qui vont se figer. Ceux qui sont là, autour du lit, la croient sombrée dans la syncope. Ils ne voient pas qu’elle voit et qu’elle entend. Ils ne voient pas qu’elle est en marche, et qu’elle gravit la dernière côte. Avec elle, la souffrance montait, montait… D’un coup de lance, elle transperça le cerveau, de cette pensée fulgurante :

— « Souffrir, c’est apprendre… »

L’éclair de ce mot aveugla la souffrance même. La chair pantelante s’insensibilisa. Rien ne resta plus que les yeux — les yeux tournés vers l’en dedans — et la conque marine de l’oreille…

Elle perçoit, comme du dehors, son propre souffle qui halète. L’ouïe exaltée guette ce souffle qui s’enfle ; et il lui semble le grondement d’un train en marche… Qui est en marche ? Elle, ou un autre ? Elle ne distingue plus entre le « sien » et « l’autre ». Les poteaux-frontières viennent d’être abattus par un coup de vent. Non-moi est moi. Moi est Non-moi. Tout est une masse obscure qui s’amasse, au gouffre de la Nuit, comme un naphte compact en une citerne. Le niveau monte. La masse atteint au bord de l’orifice, elle se gonfle en