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au sein même de celui qui meurt. Annette n’était plus dans Annette. Celle qui s’éteint sur l’oreiller est seule. Son Autre, son Double a pris congé. Il était en train de déloger. Et délogeaient avec lui toutes ces fumées, ce bruit, ces cris, cette agitation, tout ce tumulte des foules et des passions, toute la bataille… Sur les ruines de la maison, les pieds de la Paix se posaient. Le corps se tendit, pour recevoir sur sa fièvre le toucher frais… Mais dans le spasme pour briser les derniers liens, le frêle cordon qui résistait, elle fut ramenée brutalement, comme un hanneton au bout d’un fil, à cette argile de douleur, d’où elle voulait s’échapper. Avant de rompre cette forme d’une âme, ce lac du cœur où l’univers s’est reflété, et de l’absorber, la Force-Mère de toute vie rappelle en celle qui va mourir, une dernière fois, la conscience aiguë de tout ce qu’elle fut : par la contraction de la souffrance et de l’effort que réclame le suprême arrachement, elle lui fait heurter cruellement les fers de lance, les tessons coupants aux murs de son enveloppe qui la meurtrit, — en long, en large, ses limites, le lit mortuaire de son corps, les parois entre lesquelles, comme une abeille, elle a bâti sa chambre de vie — soixante ans de vie, — pour qu’elle mesure enfin, à la seconde du « salto mortale », dans un éclair, l’empan de sa vie, sa raison d’être et de mourir. Le rideau s’ouvre. Hâte-toi, regarde !…