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— « Je me dépêche. Mais mes vieilles jambes ne vont pas vite. Ne m’attends pas ! Va-t’en, ma fille !… »

Assia écartait, d’une main lassée, les hideuses pensées. — Elle avait voulu, malgré sa fatigue, veiller Annette ; elle avait forcé George et Vania à se reposer ; elle était seule avec la mourante ; et Dieu sait quel attachement passionné elle avait pour Annette ! C’était la seule femme au monde qu’elle eût aimée. Elle aimait en Annette, Marc. Elle aimait en Annette, la mère, — plus sa vraie mère que celle de son sang. Elle aimait l’amie, elle aimait celle qui lui avait fait confiance, qui avait remis aux mains de l’étrangère, de l’errante, de la rejetée, son plus précieux, son fils et le trésor de son intimité, celle qui avait eu foi en elle, plus qu’elle-même ne l’eut jamais, — qui l’avait deux fois remise sur ses pieds, en essuyant la boue de ses pieds, — celle qui l’avait sauvée. Il n’était pas sûr que, finalement, elle n’aimât pas Annette plus que Marc, et que dans Marc, ce ne fût Annette qu’elle aimât le mieux. Les deux, du moins, à l’heure actuelle, faisaient si étroitement corps ensemble qu’elle ne distinguait plus : c’est tous les deux qu’elle venait d’étreindre, avec fureur, en se jetant sur le corps en sueur de l’agonisante… Mais dans le même instant, l’âme hostile était entrée. Assia sentait la pénétrer une glaciale indifférence. Desserrant l’étreinte, elle retomba, assise à quelques pas. Elle était lasse et surmenée, de toute l’énergie dépensée durant des jours et des nuits sans repos. Elle était vidée d’amour et d’intérêt. Elle était reprise par d’autres préoccupations de la rive des vivants, dont cette mourante l’avait distraite trop longtemps ; elle pensait aux risques de son envolée, que grossissait chaque heure de plus en cette maison ; elle évaluait, d’un dur regard, sur cette face enflée, qui reposait — (qui combattait) — sur l’oreiller, le