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Elle fut si révoltée de son assurance qu’elle eût voulu, pour un moment, être encore de l’autre camp, afin de lui infliger un démenti. Mais elle était trop franche avec elle-même. Elle dut se borner à lui jeter un regard furieux. La gorge de Dito remuait de son rire muet. Elle avait allumé sa cigarette, machinalement, à la cigarette de Dito et la mâchait rageusement. Elle cracha le bout qu’elle avait coupé, et dit, le provoquant :

— « Et ce que demain je serai, tu le sais aussi ? »

— « C’est évident. Tu seras avec nous. Tu l’es déjà. »

Il ne riait plus. Et elle se tut. Elle était vaincue. Ils fumèrent, un moment, sans parler. Elle regardait vers la fenêtre. C’était bien clair : il n’y avait que ce seul côté, vers quoi elle pouvait aller. Vers cette action d’un peuple — son peuple — là-bas… Depuis longtemps, elle le savait. Mais il était le premier à le dire, pour elle, tout haut… Elle essaya encore de se défendre. Elle dit, comme se parlant à elle-même :

— « Je ne puis accepter aucun joug. J’aime mieux crever que sacrifier mon indépendance. J’ai tout souffert pour la garder. »

— « Et tu t’es mariée », dit-il, ironiquement.

— « Mon mari est comme moi. Il pense comme moi. »

— « Et il s’est marié », répéta le railleur.

Elle voulut parer le coup. Elle tricha :

— « À deux », dit-elle, « on est plus fort. »

— « Et à cent soixante millions, combien plus ! »

C’était ce qu’elle pensait. Mais son individualisme repoussait cette pensée.

— « Je ne peux pourtant pas épouser cent soixante millions ! »

— « Pourquoi pas ? » dit-il, « tu es râblée. »

— « Je le suis », dit-elle, « mais cela ne me plaît pas. »