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monde et les idées hallucinées, — iraient tout droit aux coups de feu, à la bataille de demain, — ainsi que son autre fille de Russie, qui s’était enrôlée dans la grande Armée. Ils étaient tous voués à la mort exaltée dans la flamme. Et cette flamme, elle avait, aveugle, jour après jour, travaillé à l’allumer. Elle qui voulait en réchauffer le cœur de ceux qu’elle aimait et les grouper autour, comme d’un foyer, elle avait mis le feu à son logis. La flamme, que dans son sein elle nourrissait et qui, en elle, montait droite, l’illuminant sans la consumer, avait fait fondre, autour, les murs, et propagé en d’autres âmes l’incendie. Sa mission avait été, à son insu, de porter dans ses mains calmes, pour éclairer sa pensée, la torche de l’action, que d’autres mains avaient saisie, et que le vent rabattait sur sa propre maison… L’Âme Enchantée et sa couvée, comme le phénix, étaient destinées au bûcher. Gloire au bûcher, si de leurs cendres, comme du phénix, renaît une plus haute humanité !…

— « Brûle-moi donc, avec les miens ! L’heure est venue. Bourreau, je tends mon cou à ton couteau… »

Et elle sentit qui s’enfonçait dans sa poitrine, le couteau. Une douleur atroce et fulgurante la transperça, du cœur au cou. Elle serra ses poings sur sa blessure, pour ne pas crier. Il y avait dans la férocité de la douleur une joie exaltée à prendre sa part de l’holocauste de ses fils. Elle appuyait, avec ses poings, sur le manche du couteau…

— « Enfonce !… »

Jusqu’à ce que, les dents serrées, dans un spasme, elle s’évanouît…