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et il parut reconnaître sa route ; il reprit sa phrase du début et la déroula tout entière. Elle était grave, mais sans tristesse ; et bientôt sa ligne nue, qui ondulait comme une branche, fleurit de jeunes variations, claires et riantes, ainsi qu’un cerisier au printemps. Le vent passait dans les rameaux ; ils s’égrenaient en pluie d’arpèges. Revint le thème, nu. Sa silhouette pure et fière semblait un largo de Haendel…

Le violon se tut. Vania dormait, la joue appuyée sur son bras. George se déshabilla dans la nuit, le corps tout chaud et l’âme fraîche, détendue ; elle ne cherchait pas à raisonner ce qui se passait en sa pensée ; le violon s’en était chargé : c’était une affaire réglée, tout était bien… Elle s’endormit, de son grand souffle régulier.

Annette veilla, une fois de plus. Mais cette fois, elle ne veilla pas en vain. Le Visiteur allait passer…

Elle pensait à ses fils égorgés — Marc, Silvio — agneaux de Dieu. Ils s’étaient offerts au sacrifice. Elle les avait offerts. Elle avait beau s’en défendre, chercher les preuves dans sa mémoire qu’elle n’avait rien dit pour les pousser, qu’ils avaient agi sans elle. Elle savait bien que c’était d’elle qu’était issu l’élan de leur sacrifice. Sous son regard, qui voyait leur chemin bien avant eux, ces deux enfants, ces violents, presque malgré eux, s’étaient offerts au couteau. C’était comme si, de ses propres mains, elle les avait portés sur l’autel.

— « Dieu d’Isaac, qui l’as sauvé, tu n’as pas sauvé mes enfants ! Il te fallait ces victimes. Es-tu content ? »

Mais le dieu n’était pas rassasié. Elle le savait. Elle savait qu’il en attendait d’autres… Qui, encore ?

— « Tout ce que tu as. Tous les tiens. »

Elle faisait vainement effort pour ignorer que ce garçonnet qui dormait là, derrière le mur, tout à ses jeux et à ses rêves de la journée, — que cette grande fille, saine et joyeuse, qui narguait les passions du