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n’avait pas dit, — elle le reconnut pourtant, car elle savait qu’il l’avait lu dans sa pensée…

— « Pourquoi si pauvre en héroisme, la terre qui fut celle du Risorgimento ? Parce qu’elle attend l’exemple du don de soi, de l’immolation volontaire, la rosée de sang qui annonce l’aube rouge. Ô Gioventù, affamée de vivre, jeunesse, à toi, de renoncer ta vie, de te dépouiller de tes espoirs, des joies, des peines de ton avenir, de les offrir en holocauste expiatoire ! Ce n’est pas le meurtre qui délivre, c’est le sacrifice. Je tue le tyran plus sûrement, en lui jetant le défi de ma mort à la face, qu’en tuant le chien qui tremble dans son chenil… Lève-toi, peuple ! Tu ne connais pas ta puissance. Même sans combat, les bras croisés, si tu dis : « Non ! » le tyran tombe… »

L’avion avait semé la parole sur le Forum, où Cicéron flétrit Antoine, qui le tua ; et dans la nuit, il disparut, pourchassé par la meute aux ailes d’acier. Depuis, on ne l’avait plus revu…

Vania avait fini sa lecture. Il brûlait de continuer à parler. Mais le silence des deux femmes l’intimidait. Il essaya. Nulle ne répondit. Elles songeaient, chacune immobile, dans la nuit. Il se tut aussi. Après quelques minutes, de son lit, Annette dit :

— « Allez dormir, mes enfants ! »

George se leva. Ils la quittèrent, sans avoir allumé la lampe.

Jean se coucha. George s’était enfermée dans sa chambre. Le chaud silence emplissait la maison. Les bois se taisaient. Dans la nuit d’été phosphorescente, monta le chant du violon. Annette et Jean retenaient leur souffle pour écouter. Il cheminait, d’un pas d’abord incertain, qui s’arrêtait sur une question, attendait, reprenait, attendait ; puis, il s’assura peu à peu.