trait rien, feignait de ne pas entendre. Il en avait un rire intérieur ; mais rien du rire ne sortait.
Un jour qu’elle était seule à travailler, il vint s’asseoir à sa table, de l’autre côté. Elle leva la tête, elle vit, presque contre son visage, la large face aux yeux fouilleurs, avec sa gouaille au coin de la gueule. Mais l’ironie n’avait, cette fois, rien de malveillant. Rancunière, Assia fronça le sourcil. Il lui rit au nez. Elle eut beau faire, elle ne réussit plus à s’en fâcher. Pour éviter de rire aussi, elle baissa le front buté, et se remit à travailler. Il étendit sa large patte sur la page, et dit :
— « Stop ! causons. »
— « Mais s’il ne me plait pas de causer ? » dit-elle.
— « Mais il te plaît. »
Elle suffoqua de cet aplomb, elle le dévisagea et elle dit :
— « Non ! »
— « Ça veut dire : oui », reprit-il tranquillement.
— « En quelle langue ? »
— « Dans la tienne. »
Et avant qu’elle eût pu répliquer, il lui offrit :
— « Une cigarette, camarade ? »
Son regard, son ton, ce mot de « camarade », la subjuguaient. Avec dépit, elle prit la cigarette :
— « J’ai mon travail. Pas de temps à perdre ! »
— « Oui, tu es d’attaque. Tu serais mieux à ta place chez nous. »
— « Qu’est-ce que j’irais faire ? Sais-tu seulement qui je suis ? »
— « Naturellement-, je le sais. »
— « J’étais avec les blancs de Denikine. »
— « Mais maintenant, tu n’en es plus. »
— « Qu’en sais-tu ? »
— « Je sais. »