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comment dire ce qui vous emplit le cœur, ce qui dure lorsque tout passe, ce qui est tous ceux qu’on aime, morts ou vivants, et tout l’amour qu’on a pour eux, la communion de tous les êtres et l’au-delà ?… Elle sourit :

— « Je dis ce que j’aime. Le reste est, ou n’est pas, s’il lui plaît. »

— « On ne peut aimer que ce qui est. »

— « Alors, c’est, puisque j’aime. »

Vania essayait de comprendre. Annette lui dit :

— « Ne te fatigue pas !… L’un croit ceci, l’autre croit cela… Ce n’a pas grande importance. Les mots sont des poteaux indicateurs sur la route. Le vent les abat, la pluie les efface. Mais cela qui compte, c’est la route ; et nous avons notre boussole… Marchons ensemble ! L’un regarde à droite, l’autre regarde à gauche. Mais on suit bravement le même chemin… « Promenons-nous dans les bois ! » Le loup y est… Droit au loup ! »

Cela, Vania le comprenait ! Et il était prêt. — Mais la grand’mère lui demeurait, ainsi qu’à George, pleine de mystère, comme les bois. Ils avaient tous les deux pour Annette le même attrait non dénué de crainte. Elle était là, toute proche — (nul être au monde n’était plus proche) — et très loin. À des moments, cœur à cœur. Mais ils ne savaient pas bien ce qu’elle pensait. Et ce qu’ils pensaient, elle ne le savait pas toujours. Ce n’était point la familiarité de tous les instants et de plain-pied, qui existait entre le petit Jean et George. C’était bien moins et beaucoup plus. Deux âges du monde, deux mondes différents. Je suppose que des croyants de nos campagnes causent ainsi avec la Bonne Dame ; ils lui confient mentalement leurs affaires ; ils la savent bonne, ils ont loi, ils l’aiment. Mais ils ne sont jamais sûrs de ce