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— « Elle ne le sera point par moi et par ceux que j’aime, par mes enfants, par mes amis, mes compagnons, — par vous, Julien. Alors, pourquoi nous troubler ? Nous ne sommes plus des gamins qui ont besoin que ce qu’ils souhaitent, ils le tiennent dans leur main. Dix ans, vingt ans, cent ans ne comptent point pour notre volonté. Si nous savons ce qui est juste et qui doit être, nous savons aussi que cela sera. Ce qui est inscrit dans notre esprit, c’est un destin. Par notre vie, par notre mort, il s’accomplit. Et plût au ciel que je pusse vivre encore assez pour lui donner ma vie en sacrifice ! Je sais du moins que les miens sauront donner la leur, avec la même joie que j’y mettrais. Morte ou vivante, j’y participerai… « Quos non accendam ! … » Il n’est que de nourrir, en ceux qu’on aime, l’énergie et la foi. Les disgraciés sont ceux-là seuls dont l’énergie n’est pas égale à la foi (la foi est faible, en ce cas !) — ceux qui n’ont rien à quoi se sacrifier. L’époque est dure, elle est cruelle, mais elle est belle pour les forts. Et peut être fort le plus débile physiquement. Il faut être à la taille de son temps. »

— « Alors », dit Philippe, « pourquoi avez-vous joué la pacifiste ? Pourquoi avez-vous, pendant les années de guerre, manifesté l’horreur pour la guerre ? »

— « Parce que j’ai horreur de la déraison. Parce que cette guerre des nations était fondée sur le mensonge et la stupidité. Parce qu’elle était une régression vers le passé. Je plains les millions de victimes, avec douleur, avec révolte. Mais ce ne sont pas tant leurs sacrifices qui m’indignent que le non-sens de ces sacrifices. Là où il s’agit de sauver vraiment la communauté humaine et son avenir, il ne s’agit plus de sacrifices… « Non, ce n’est point un sacrifice ! », comme