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serait à pleine bouche ses blessures, comme elle eût été près de baiser la cicatrice qui coupait, d’un trait livide, la forte joue de Dito Djanelidze.

Il était en mission secrète du Komintern en France, sans titre officiel, et redouté des officiels. À la Représentation où il entrait, passait, s’installait sans façon, il paraissait aux visiteurs un témoin muet, un peu gênant, sans importance : il fumait une cigarette après l’autre, sans avoir l’air de s’intéresser aux entretiens ; mais le représentant allait chercher son regard, avant de donner la réponse. Il était grand et charnu, lourde charpente, mais les mouvements souples et sans bruit. Une broussaille de cheveux épais et durs, très noirs, et plantés bas. Le front coupé d’un profond sillon transversal. De forts sourcils relevés. Les yeux bridés, qui pratiquaient la division du travail : l’un disait ruse, et l’autre dureté. Le nez long, et large en haut, gros du bout, narines épaisses, mais serrées. Rude moustache. De larges joues. La mâchoire à l’affût, qui ricanait, tout en guettant. Dans l’ensemble de la physionomie, la goguenardise mêlée à l’attention implacable. — Il avait moins de quarante ans.

Assia ne fut pas lente à le remarquer. Il ne semblait pas prendre garde à elle. Son double regard l’avait bien pelotée et soupesée, poil et plumes, puis il avait laissé retomber le gibier. Il avait mieux à chasser. Elle s’en était sentie vexée. Elle concevait pour lui une violente antipathie. Elle affectait de ne pas connaître sa présence. Dans la pièce où elle travaillait, on s’arrêtait parfois pour causer ; et avec la familiarité slave, il arrivait qu’elle se mêlât aux discussions, sans interrompre sa copie. Deux ou trois fois, Dito Djanelidze lui coupa la parole, d’un mot ironique, passablement désobligeant. Assia rageait, n’en mon-