Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/628

Cette page n’a pas encore été corrigée

bien me retrouver sur mes pieds. Je connais le ski, je sais sauter. Saute, société !… »

L’humanité des siècles d’ordre s’épouvante, à la seule idée des catastrophes qui guettent l’espèce, au carrefour. Elle ne pense pas que l’espèce mue et s’adapte aux catastrophes, comme à l’ordre. Ainsi que sa peau apprend à se contenter de la morsure du gel polaire et du gril au soleil de l’équateur, il s’établit une harmonie entre les circonstances catastrophiques et la faune humaine qui y prend vie. Où les vieux meurent, faute de poumons assez flexibles pour respirer, les jeunes s’ébattent gaillardement. Et peut-être que l’ordre respirable de leurs pères serait, pour eux, l’asphyxie. Vingt dieux ! George et Vania n’eussent pas échangé, contre le plus élyséen des climats, celui de leur temps chargé d’orages, et leurs coups de vents !

Ils ne font pas la tempête, les oiseaux qui volent dans la tempête. Mais elle les fait. Elle leur est le climat ordinaire. Là où le thermomètre, pour ceux d’hier, marquait la fièvre, ils réalisent leur température normale. La raison, apprise de ceux d’hier, est entraînée aussi par la tempête ; elle a franchi le seuil d’hier, et d’un bond elle atteint à d’autres conclusions. L’esprit aurait beau vouloir demeurer indépendant de la bataille, le tempérament a pris parti, avant que la conscience l’ait compris. Quelque absurde que paraisse à George l’idée de lutte de classes, elle se trouve de l’autre côté de la barricade, sous le drapeau « prolétarien », quand elle continue encore à railler ce nom de « prolétaire ».

Et vint un soir où, Annette faisant un court voyage à l’étranger, pour consulter un spécialiste du cœur, George et Vania, qui l’accompagnaient, l’avaient laissée à l’hôtel, pour flâner dans les rues. Annette les vit